Stop aux bricolages !
Allez, je jette un pavé dans la mare éducative. Ce matin, j’ai vu passer sur Facebook un tuto pour réaliser un coq avec des empreintes de pieds et de mains. Comme je m’intéresse beaucoup à la créativité chez l’être humain, pas seulement les enfants, et comment la développer, j’avais envie de vous partager mes réflexions sur le sujet des « bricolages ».

La tyrannie du regard de l’autre

À la maison, à la crèche, à l’école maternelle… ils sont partout. Quand je visite une crèche ou une école, je suis toujours perplexe devant ces murs d’affichage montrant des bricolages d’enfants… tous très similaires, voire identiques. Bizarrement bien découpés et bien finis. Jolis, même. Enfin, dans une certaine vision du joli. Propres, je dirais plutôt.
Les parents ne sont pas dupes, même si recevoir des bricolages peut leur faire plaisir. La complicité du professionnel, ajustant les finitions, passant derrière, voire guidant carrément l’expérience en positionnant la main ou le pied plein de peinture au bon endroit, de la bonne façon… Ou alors, ce sont de sacrés petits génies, tous, oui oui ! Des Van Gogh en puissance, même !
Oui, tout cela me dérange. Cela me dérange même profondément. Inconsciemment nous donnons le message à l’enfant de « je corrige ce que tu as fait, car ce n’est pas assez beau, et ce que tu produis DOIT être convenable ». L’expérience de l’enfant est rarement libérée d’un enjeu de résultat, bien souvent en lien avec le regard et l’opinion des autres. Les collègues, les parents, les amis… l’adulte met en la production de l’enfant la prolongation de sa compétence (de parent, de pro…). Mais, ce que l’enfant comprend, c’est que son travail n’est pas convenable, et donc qu’il n’est « aimable ». Son besoin de reconnaissance, qui devrait être inconditionnelle, se retrouve conditionnée par ses actes. En l’occurrence le visuel d’un bricolage. Au niveau de la construction de son estime de soi (la valeur que l’on s’accorde) et de sa confiance en soi (la certitude d’être capable), ce n’est franchement pas le mieux.

Quoi faire ?

  • Que vous soyez pro ou parent, essayez de ne jamais juger la production de l’enfant, même positivement (lire cet article pour en savoir plus).
  • Peu importe le résultat, ce qui compte, c’est l’expérience vécue. Et même si vous trouvez cela « moche », n’y touchez pas. Si l’enfant a pris plaisir à faire ce qu’il faisait, c’est l’essentiel. Pourquoi ? De l’enthousiasme vient la motivation, de la motivation vient la persévérance…. Et de la persévérance naît la compétence.

 

Le manque d’ouverture et de libre choix

Ce qui me dérange, aussi, c’est quand, dans les propositions de bricolages, il manque de ce que l’on appelle « ouverture », c’est-à-dire de choix. En gros, quand il y a un seul bricolage possible à disposition. Et pour faire le lien avec le point précédent, le fait de brider les possibilités à l’intérieur d’une activité manuelle est également une entrave au développement de la créativité de l’enfant. Exemple : en automne, les enfants réaliseront des boules de papier crépon MARRON à coller sur un hérisson. En hiver, ils peignent un pingouin en gris et noir. Et la pomme ne pourra pas être rose. La consigne est très limitée. Pourquoi, justement, ne pas faire un hérisson vert, un pingouin rose et une pomme bleue ? Après tout, qu’est-ce que cela peut faire ? Cela ne risque aucunement de fausser la perception de l’enfant, puisque la représentation vient de lui. Et cela ne l’empêchera pas non plus d’intégrer le fait qu’un hérisson est marron.

Je ne parle même pas ici des activités qui n’ont pas été choisies par les enfants. Je pense particulièrement aux moulages en plâtre et empreintes en peinture pour les bébés. Hop, je prends bébé, je lui mets de la peinture sur le pied et je pose le pied du bébé sur la feuille. Avait-il envie ? Franchement, soyons honnête, la plupart des bébés détestent ça.

Quoi faire ?

  • Proposer du choix, au minimum deux, lorsque vous présentez une activité manuelle à un enfant ou un groupe d’enfants.
  • Idéalement, proposez une étagère d’activités manuelles et créatives, dans laquelle les enfants iront piocher. Je vous en parle tout bientôt dans un article.
  • Proposer, sans imposer, même indirectement. L’enfant fait, s’il veut.

 

Coloriage, ligne et consignes

Pour moi, il n’existe pas de créativité sans liberté. Comme je l’ai mentionné plus haut, si l’enfant veut peindre une pomme en bleu, cela ne devrait pas être un problème. Mais allons plus loin ici.
Suivre un modèle, ne pas dépasser la ligne, respecter une consigne sans marge de manœuvre, faire du coloriage…. Tout cela peut développer des compétences de concentration, de contrôle occulo-moteur, logico-mathématiques… mais il y a d’autres moyens pour tout cela : transvasements, encastrements, enfiler des perles, réaliser des abaques et autres algorythmes, faire des casse-têtes… le souci que j’ai avec les bricolages, c’est que de par leur consigne en général assez restrictive, ils freinent massivement la créativité des enfants. 

Pour être créatif, l’enfant n’a pas besoin d’apprendre de quelle couleur peindre un crocodile. Il a besoin d’expérimenter le bain de couleur, l’outil (la peinture, le pavé de cire, le crayon de couleur)… et d’exprimer ses nécessités intérieures. Recopier un modèle ou suivre une recette de cuisine ne rend jamais créatif… et l’enfant finit par produire ce genre de dessin ci-contre, qui est un dessin totalement appris (observez le soleil bien en haut de la feuille, la maison…). 

Quoi faire ?

  • Proposer du matériel de jeu ouvert. Le jeu libre est le meilleur moyen de libérer la créativité de l’enfant. Et pour cela, je vous propose de découvrir les articles que nous avons rédigés sur la Pédagogie du Jeu, mais aussi les Loose Parts, issus de la pédagogie Reggio, dont je propose plusieurs formations ici et
  • Proposer des plateaux de techniques créatives, sur base des plateaux de vie pratique de la pédagogie Montessori. Comme dit plus haut, je vous en parle tout bientôt, mais ce que je peux déjà vous dire c’est que le principe est de mettre à disposition, sur un plateau, une technique créative (par exemple : des pavés de cire et une feuille de papier) et de laisser l’enfant l’expérimenter, la découvrir, la manipuler… comme il veut et sans consigne. Si cela vous intéresse, je propose une journée de formation complète sur ce thème. 

Le matérialisme éducatif

Le dernier point qui me dérange dans les traditionnels « bricolages », c’est qu’il y a, justement, une production. Nous habituons l’enfant à « produire » et à récupérer un « produit ». L’enfant, naturellement, collectionne. Certes. Et aime faire des dessins ou des bricolages pour ramener à ses parents. Et c’est ok, bien évidemment. Mais je parle ici plus du côté systématique et exclusif de ce type d’activités : ramener forcément une production. Habituer les enfants à systématiquement produire.

Quoi faire ?

  • Installer des Loose Parts permet de travailler le côté éphémère de la créativité et de l’activité manuelle.
  • Découvrir ou approfondir la méthode du Jeu de Peindre, d’Arno Stern. Chez lui, la trace reste à l’intérieur de l’atelier. L’enfant ne ramène jamais sa peinture. La trace est ainsi protégée du regard extérieur, et donc du jugement. L’enfant est libéré, et sa trace avec lui. Je vous en parle dans cet article.
  • Proposer à l’enfant de disposer de sa trace comme il le souhaite : la mettre à la poubelle (oui, il en a le droit !), la mettre dans son casier, la ramener à la maison ou à l’école, l’offrir, l’exposer (je vous conseille un tableau d’affichage, qui permettra de restreindre la surface d’exposition)… et peu importe sa décision, la respecter sans commenter.

 

Est-ce la fin des activités manuelles ?

Non, bien évidemment. Les activités manuelles et créatives sont intéressantes, dès le plus jeune âge. Dans les points « Quoi faire ? », je vous ai proposé quelques alternatives aux traditionnels bricolages.

Pour résumer :

  • Des Loose Parts à disposition des enfants
  • Du jeu libre
  • Une étagère créative, avec des plateaux de techniques créatives et pas des « bricolages », trop restrictifs.
  • L’enfant est libre d’aller se servir selon ses intérêts et ses envies, sans jugement ni modification de sa trace.
  • Proposer à l’enfant de disposer de sa trace selon son besoin.
  • Considérer toujours que l’expérience est plus importante que le résultat.